Catherine LEUTENEGGER, MOTEL
Exposition du 27 janvier au 24 mars 2012
Ses photographies aux ambiances lynchiennes, nous renvoient inéluctablement à l’atmosphère inquiétante du film Lost Highway, ou aux sombres épisodes de la série légendaire du même auteur, Twin Peaks. Pourtant, nous sommes bien loin des vastes contrées de Los Angeles, Washington, ou du Texas de Wim Wenders. Catherine Leutenegger se plaît à transposer l’univers américanisé et fortement connoté du motel dans notre réalité tranquille. La photographe nous emmène ainsi en périphérie des villes, aux abords des routes cantonales de Romandie, à la recherche de ces atmosphères étranges des films noirs qui ont clairement marqué son esprit et son langage photographique.
MOTEL
Texte de Jean-Christophe Blaser, Conservateur, Musée de l’Elysée, Lausanne
Le monde de la photographie a beaucoup évolué depuis vingt ans. C’est peu dire qu’un océan sépare maintenant les générations actuelles de photographes des précédentes. Parmi les signes les plus frappants de ce changement, mentionnons la conversion à une technique réfléchie, contrôlée, lente et le déclin relatif de l’ancienne idéologie de l’instant décisif. Cette technique, si contraire à l’esprit des photographes dans les décennies d’après-guerre, est un élément-clef du nouveau paradigme.
On retrouve ce paradigme chez Catherine Leutenegger, et d’autres éléments encore qui participent de la nouvelle donne, comme entre autres, l’intérêt pour le cinéma et une certaine fascination pour les lieux désaffectés. Elle aussi passe par la brèche que les films de David Lynch ont ouvert dans la cloison séparant l’univers du cinéma de celui de la photographie : le résultat en est que tout devient affaire d’ambiances et d’environnements suggestifs. Catherine Leutenegger résiste toutefois à la tentation des atmosphères vénéneuses à la Lynch, contrairement à d’autres photographes, trop facilement enclins à abuser de l’esthétique de l’uncanny. Ses images de chaos sont certes dramatiques. Le spectacle de la destruction qu’elles présentent et qui n’est pas sans rappeler le travail de Robert Polidori à la Nouvelle-Orléans, n’est en rien rassurant. Et le fait qu’il s’agisse de motels – un des décors de prédilection du crime dans la fiction – pourrait davantage encore orienter la lecture dans ce sens. Mais Catherine Leutenegger se réfère aussi à Wim Wenders, à Paris-Texas et au monde du road movie qui n’est pas vraiment angoissant a priori . Elle ironise sur le fait que nous ne sommes pas aux États-Unis, mais en Suisse, pays tranquille où il n’arrive jamais rien. Quant à son style, il se révèle somme tout assez analytique, neutre et distant, à l’image de la photographie topographique actuelle (comme la pratique par exemple Stephen Shore). Mis ensemble, tous ces éléments traduisent donc une distanciation par rapport à la vision du réalisateur de Lost Highway autant qu’une adhésion à sa méthode.
Le parallèle entre la représentation de l’espace que définit la photographie et celle qui s’est construite avec la perspective à la Renaissance a souvent été tiré. Or ce parallèle peut être étendu. Il apparaît aujourd’hui que les photographes se sont longtemps souciés de découvrir les structures cachées du monde. Ils ont cherché à en dégager les lignes de forces, la géométrie sous-jacente. La volonté d’architecturer de plus en plus leurs images, le formalisme qu’ils ont cultivé tout au long du 20e siècle, témoignent d’un effort de rationalisation comparable à celui des artistes du Quattrocento, de mise en ordre de l’univers. Or c’est par rapport à un tel idéal que la rupture entre les générations se révèle être l’une des plus profondes – aussi profonde que sur la question de la retouche numérique dont tout le monde parle.
L’exemple de Catherine Leutenegger illustre bien cette rupture, tant la photographe semble se préoccuper non de l’ordre des choses mais bien au contraire de leur désordre. Une fascination pour la ruine, voilà ce qui ressort de la série sur le motel à l’abandon de Founex. Régis Durand parlait à propos de la photographie de Robert Smithson d’entropie, cette tendance irrésistible de l’univers à se dégrader et à se désagréger. Le terme s’applique également à nombre de vues d’intérieur de Catherine Leutenegger, bien qu’il faille tout de suite relever des différences importantes entre les deux artistes. Smithson, icône du Land Art, s’évertuait à réaliser les photographies les plus pauvres, les plus approximatives, les plus négligées possible, dans l’évocation de ses « ruines du futur ». Catherine Leutenegger fait, elle, le choix inverse. Elle apporte le plus grand soin à la création d’images très élaborées, alliant description précise, clinique et recherche de la beauté (osons le mot !). Celles-ci sont toujours le résultat d’un long processus au bout duquel la photographe a pu s’imprégner de l’esprit des lieux (à Founex, mais aussi à Etoy, Rennaz, Bevaix…). Dans tous les cas, il s’agit pour elle de rester fidèle à la réalité de ces derniers, sans intervenir sur la lumière ou l’état dans lesquels elle trouve les choses : mise en scène et retouche à l’écran sont exclues.
Le plus significatif se trouve cependant dans les séquences où Catherine Leutenegger alterne vues intérieures et extérieures, espaces vides et pleins, organisés et désorganisée, tonalités ternes et vives, plans larges et serrés. On se retrouve là, avec une recherche aussi systématique de rythmes, au cœur du phénomène d’imprégnation par le cinéma dont d’autres aspects ont été signalés ci-dessus.
On pourrait qualifier de totalement romantique le goût pour le chaos dont Catherine Leutenegger a fait preuve à Founex, n’était la distance avec laquelle elle observe les choses. Romantique… n’est-ce pas exagéré ? La réponse est non. Nombreuses sont ses photographies de motel qui font écho à la peinture allemande de paysage du début du 19e siècle.
BIOGRAPHIE
Catherine Leutenegger *1983 diplômée de l’ECAL à Lausanne (BA & MA en photographie), vit et travaille en Suisse.
Son oeuvre a été récompensée par de nombreuses distinctions parmi les plus prestigieuses, dont en 2005, le Prix d’encouragement de la Banque Cantonale Vaudoise. En 2006, le Prix culturel Manor pour son travail de dipôme Hors-champ qui fit l’objet d’une exposition personnelle au Musée de l’Elysée de Lausanne et de la publication d’un livre monographique aux Editions Infolio.
En 2006 et 2008, Catherine Leutenegger est lauréate à deux reprises des Bourses fédérales de Design, puis en 2007, elle bénéficie d’une résidence d’artistes à New York grâce au Prix du Canton de Vaud, où elle développe The Kodak City glaçant témoignage de la Ville Kodak en déclin. En 2008, le Prix International de la Photographie Raymond Weil la distingue pour la qualité et la singularité de sa démarche artistique.
Catherine Leutenegger a été exposée au niveau national et international, notamment au Musée Cantonal des Beaux-Arts de Lausanne, au Musée de l’Elysée Lausanne, au Museum für Gestaltung et au Museum Bellerive Zürich aux Journées Photographiques de Bienne, au Fotomuseum Winterthur, à la Galerie Aperture New York, à la Galerie Carla Sozzani Milan, etc.
Son œuvre intègre plusieurs collections publiques et privées, dont celle du Musée de l’Elysée, de la Banque Cantonale Vaudoise et Raymond Weil à Genève, etc.